Pour cette tribune d’Agevillage du mois de Décembre, Florence Leduc propose une réflexion autour de ce qui interpelle lorsque l’on commence à affubler les aidants du terme indispensable.
Il est utilisé, ici ou là, une nouvelle expression qui prend de l’ampleur, au fil du temps, qui se diffuse par certains émetteurs, visant à nommer les proches aidants des aidants indispensables.
Après consultation du merveilleux dictionnaire historique de la langue française, il en ressort quelques éléments intéressants :
– Le premier consiste à s’intéresser à ce que signifie dispenser ; la première nous vient des Anglais, elle nous parle de dispenser des soins (et d’ailleurs, ça nous parle bien !) les Québécois l’utilisent, eux pour dispenser de l’enseignement.
– Si l’on explore à contrario le terme indispensable, c’est bien ce dont on ne peut pas se passer et dont on ne peut être dispensé ; c’est nécessaire, voire très nécessaire, c’est essentiel, c’est donc indispensable, CQFD !
Cet examen du sens des mots nous en dit long sur l’assignation à aider ; c’est indispensable, donc il n’y aurait pas d’autre choix !
On pourrait donc penser que tout est dit, chacun à sa place, et la place des proches aidants, c’est d’être indispensable, et ce n’est pas discutable.
C’est donc bien au proche aidant de dispenser des soins à son proche malade, petit enfant, adulte en situation de handicap et/ou de dépendance pour les gestes de la vie quotidienne.
Dans la vie quotidienne du proche aidant, ce mot, indispensable, peut aussi renvoyer irremplaçable, entendant ainsi que personne d’autre que le proche aidant ne peut remplir cette fonction ; cela priverait donc le proche aidant de recourir aux intervenants professionnels, ceux qui sont habilités, formés, autorisés, missionnés pour dispenser des soins, de l’aide, de la rééducation, de la réadaptation en fonction des besoins de chacun…
Cela priverait aussi les aidants en activité professionnelle de la conserver, les privant de leur rémunération, celle qui fait vivre les foyers, sans même penser à la retraite !
Cela voudrait dire que tout est écrit, du code Napoléon à l’obligation alimentaire, à ces petites phrases assassines :
Elle/il est obligé de s’arrêter de travailler pour s’occuper de son enfant », ce qui est bien différent de « elle/il a pris la décision de s’occuper de son proche » ; ça ouvre une porte, celle de la conciliation entre les différents domaines de la vie à savoir, l’activité professionnelle, la vie familiale et plus largement la vie sociale, les loisirs…
Les conséquences sont lourdes ; c’est l’épuisement qui guette l’aidant, et c’est par voie de conséquent le mal être de la personne aidée qui certainement n’en demande pas tant au point d’épuiser l’autre !
Combien de fois ai-je entendu des aidants, parfois en pleurs, dire qu’ils n’en peuvent plus, qu’ils ne sont plus les papa ou maman de leur enfant malade, parfois gravement, qu’ils ne dorment plus ne sortent plus n’ont plus de vie sociale… tellement ils sont indispensables.
Si le vocable « aidant indispensable » devait se propager en lieu et place des termes officiels, inscrits dans des lois (proche aidant ou aidant familial), il y aurait des conséquences lourdes.
A titre d’exemple, on entend dans tel ou tel département, concernant la délivrance de l’allocation personnalisée à l’autonomie pour les personnes âgées qu’elle serait diminuée du nombre d’heures effectuées par les proches aidants ; il en va de même pour la délivrance de la prestation de compensation du handicap pour les aides humaines !
Là, c’est sûr qu’il devient indispensable, et même irremplaçable !
Economies budgétaires, morale moraliste, assignation à aider, culpabilisation notamment des femmes qui souhaitent conserver leur activité professionnelle, on cherche à entendre la parole des aidants, dans leur grande diversité, mais aussi la parole des personnes aidées.
« Je préfèrerais que ce soit une infirmière qui fasse mes soins plutôt que ma mère » ou « je ne lui en demande pas autant » ou « les solutions de répit pour les aidants, c’est bien aussi pour moi, ça me permet de souffler » ou « je ne savais pas que j’étais capable de m’occuper de mon proche, mais c’est moi qui ai décidé de ne pas tout faire et de continuer mes activités habituelles dont le travail » ou je me sens indispensable, mais je fais confiance aux intervenants professionnels qui ont la compétence que je n’ai pas ».
Être reconnu aidant d’une personne proche est suffisant et ne mérite pas d’être affublé du terme indispensable qui a lui seul supprime le sens de l’aide que chacun offre à l’autre, son proche ?
Il faut continuer à militer pour le droit de déterminer pour soi-même ce que l’on veut et ce que l’on peut, à notre place, notre juste place, pour refuser l’insidieuse assignation à des rôles sociaux qui se situent dans d’autres temps, ceux du contrôle social.
Florence Leduc, Présidente de l’Association française des aidants